Paul Louise-Julie est un artiste un peu touche-à-tout : illustration, sculpture, peinture, origami… et il met à contribution les arts pour un projet : The Pack qu’il nous fait découvrir dans cette interview exclusive !
Nous vous présentions il y a quelques temps le projet The Pack, un roman graphique sur la mythologie africaine. Nous avions souhaité à cette occasion en savoir plus sur ce projet prometteur qui nous promettait de découvrir l’Afrique au prisme de récits mythologiques grâce auxquels la diaspora africaine pourrait retrouver ses racines, son identité, parfois perdu au fil des années et des voyages. Paul Louise-Julie réalise tout lui-même : scénarios, illustrations, maquettes, dialogues, traductions… Il maîtrise tous les outils indispensables à la réalisation de ce projet et n’a qu’un credo : tout est possible si l’on s’en donne les moyens ! Grâce à cette interview, vous découvrirez pourquoi cet artiste martiniquais-britannique, né aux Etats-Unis a décidé de se consacrer à ce continent et comment est-ce qu’il a ainsi réalisé le rêve de sa vie. Ses romans graphiques sont de vrais chefs d’oeuvre, tant graphiquement que pour leurs histoires mêlant fantastiques et thèmes conscients. Vous pouvez retrouver son actualité sur la page Facebook et le compte Twitter dédiés.
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Qui es-tu ? Peux-tu te présenter brièvement ?
Je suis né en 1989 à Bridgeport, Connecticut (Etats-Unis) de père martiniquais et mère britannique. J’ai toujours connu mes parents travaillant pour eux-mêmes avec leur entreprise précisément basé en Afrique. Conséquemment, j’ai eu l’opportunité de voyager beaucoup. Ils étaient, et sont toujours, des grands collecteurs d’art africain. Grâce à ça, ma jeunesse a été influencée largement par ces cultures artistiques. Quand j’avais 12 ans, ma famille a décidé de déménager en France. Mes parents voulaient absolument qu’on soit bilingue et que l’on découvre la culture française. C’est là-bas que j’ai découvert mon amour pour la bande-dessinée, la sculpture, et le cinéma. Apres ça, j’ai passé 1 an au Burkina Faso (Afrique de l’Ouest) avant de retourner aux Etats-Unis pour la fac.
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Peux-tu présenter ton parcours (scolaire, professionnel) ?
Après mes années de lycée en France, je suis allé au Burkina Faso (Afrique de l’Ouest) pour faire des recherches sur l’art Africain ainsi que sur l’histoire des anciens royaumes. C’est là que j’ai rencontré un homme Wolof du nom de Moktar qui m’a présenté à un griot Wolof. Ce vieil homme me raconta toute l’histoire de la région : des empires, les dragons, la mythologie, les héros, etc. Une fois partis, Moktar m’a chargé de partager tout ce que le griot m’avait raconté avec la diaspora africaine du monde. Après ça, je suis retourné aux Etats-Unis pour la fac. En parallèle d’une formation de graphiste, j’ai continué mes recherches sur l’Afrique antique.
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Qu’est-ce qui t’a fait choisir cette voie ?
Je dirai plutôt que c’est l’art qui m’a choisi. J’ai toujours été artiste. C’est la sensibilité au visuel qui compose mon identité depuis mon enfance. Cette capacité d’enregistrer par exemple un rayon de soleil traversant une fenêtre pour se manifester dans une danse de couleurs à travers une chambre. Ensuite je prends ça et je l’exprime sur une toile ou un morceau de papier… Voilà ce que je vis tous les jours. Ce langage est naturel pour moi, subconscient même. Alors, quand j’ai décidé de communiquer mes idées, j’ai naturellement choisi l’art.
Il suffit de travailler dur et de développer une bonne discipline de soi.
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Pourquoi le projet « The Pack» ?
J’ai choisi de faire The Pack suite à la décision d’employer l’art comme medium afin de partager l’héritage que Moktar m’avait confié. Plus précisément, j’ai décidé de faire une mythologie dans l’esprit de Tolkien et sa “Terre du Milieu” mais plutôt inspiré des cultures africaines pré-coloniales. En parallèle de mes études à la fac, j’ai passé tout mon temps à créer plusieurs histoires fantastiques basées sur mes recherches et les histoires du griot. Après 5 ans, ces histoires composent une mythologie vaste et détaillée. Le Pack fait donc parti d’un projet bien plus grand.
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Comment l’as-tu pensé ?
Ce n’était pas immédiat. En ce qui concerne le concept des Loups Garous Egyptiens, je voulais absolument commencer par l’Egypte. En même temps, j’ai toujours eu envie de faire une histoire de loups garous. A la recherche d’un concept original, j’ai fini par mélanger les deux et ça a super bien marché. De plus, cette idée me permettait de raconter mes histoires à travers les points de vue des différents personnages. Finalement, il restait le problème de présenter le monde que j’ai passé 5 ans à créer : “Le Monde d’Aya”. Et donc, j’ai eu l’idée de diviser le continent en 5 régions cardinales (Nord, Est, Ouest, Sud, Central). Chaque région correspondra à une “Saison” composée de quatre ou cinq “Sagas”. Chaque Saga se déroule dans un royaume spécifique et se divise en 5 tomes, ou « chapitres ». L’actuel est la Saga égyptienne et donc la première. Le 1er Tome est disponible en français sur Kindle et iBooks. Je suis actuellement en train de traduire le 2e, donc il sera disponible le mois prochain.
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Comment est-ce-que tu le finances ?
Je ne le finance pas. Il suffit de travailler dur et de développer une bonne discipline de soi. Très tôt, j’ai pris la décision que je ne laisserai pas le manque de fonds empêcher mes rêves. Alors j’ai tout appris : la rédaction, le dessin, le coloriage, la typographie, le cadrage, le marketing, le graphisme, etc. Finalement, en choisissant la publication électronique, je peux éviter les tarifs exorbitants de l’impression et la publicité. Cela me permet de publier mes romans autours du monde pour le prix de mes matériels. Cependant, je vis de ça, donc les ventes sont très importantes. Ça peut être difficile des fois.
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Comment a réagi ton entourage lorsque tu t’es lancé dans ce projet artistique ?
J’ai toujours eu la chance d’être entouré de gens qui aiment beaucoup mon talent. Cela dit, quand j’ai annoncé ma décision d’être bande-dessinateur, certains avaient des doutes. Une fois que le premier tome a débuté, ils ont compris que non seulement les gens aimaient ce que je faisais mais que ça a toujours été mon destin. Ma famille proche (mes parents, mon frère et mes 2 sœurs) m’a toujours soutenu dans ce que je fais. Mon incroyable femme, Canadace, et mon meilleur ami, Ryan, étaient à mes côtés le long du projet. Je les ai donc pris comme modèles pour deux personnages dans le roman.
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Qu’est-ce que tu veux transmettre à travers ce projet ?
Que l’Afrique contient une richesse infinie de culture, d’art, et de mythologie. Mon but est de rappeler aux noirs du monde entier qu’eux aussi ont un héritage épique et merveilleux ˗ et pas seulement les européens. Nous aussi, nous avons des histoires de chevaliers et de royaumes féeriques. Les afro-antillais, on connait bien le fameux : “Nos ancêtres les gaulois…” C’est super- mais et nos ancêtres les Yoruba? ou les Mandé ? les Wolofs ? La majorité d’entre nous, dans la diaspora, est métissée mais dans un mélange, il faut plusieurs éléments. Malheureusement, l’élément africain dans les cultures de l’Occident commence par l’esclavage. Bien que ça soit une reconnaissance de nos ancêtres, eux aussi avaient un héritage sophistiqué en Afrique. Le but de ce roman est de réintroduire la noblesse de l’Afrique antique et médiévale dans les cultures de la diaspora africaine afin de les enrichir davantage.
Souvent, quand je développe une scène dans le roman, je sculpte une maquette du décor.
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Comment arrives-tu à introduire dans ton roman des thèmes importants tels que la famille, la justice, l’appartenance, etc. ?
C’est très important pour moi d’inclure des thèmes moraux dans le roman puisque ce sont les piliers de la culture. Dans la culture africaine, tout est centré sur la famille. Ce thème apparaît plusieurs fois dans The Pack. C’est à cause de l’amour et du souvenir de son père que Nekhet est poussé à le venger auprès du Pharaon maléfique, Akhenon. Egalement, le lien incassable avec son petit frère Khenti les force tous les deux à faire face aux actions de l’aîné. Ces mêmes conséquences entament les événements de l’histoire. Le principe de la famille est aussi présent dans le concept du “Pack” des Loups Garous. Tout au long du roman, on verra que ces personnages proviennent de voies différentes mais que ces voies sont toutes entremêlées. Les buts et les problèmes de chacun deviennent ceux du groupe. La justice est aussi un thème intéressant dans The Pack. J’ai entendu certains commentaires disant qu’il n’y a pas de justice dans ce roman – que “les loups garous tuent et dévorent sans justice”. Il faut un point de vue très limité pour penser ça… Toute action tient sa conséquence. Les actions de violence ne font pas exception. Dans The Pack, on voit dans l’histoire que, peu importe les intentions, chacun doit faire face aux répercussions de ses actes. Finalement, l’appartenance est l’autre thème courant dans The Pack. Nekhet est un esclave nubien au service du Pharaon. Il tient énormément à son identité nubienne et il anticipe avec chagrin le jour où il retrouvera sa terre natale ainsi que la liberté. Mais les membres du Pack ont un désir commun : appartenir à quelque chose. The Pack répond à ce désir.
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D’ailleurs, pourquoi avoir choisi le format du roman graphique ?
Au début, je voulais être cinéaste. Pour moi, l’expérience de la vie a toujours été très sensuelle. Dans ma tête, ce n’est rien d’autre qu’une séquence d’images. C’est la façon dont je pense, dont je communique. Alors, quand j’étais enfant, je dessinais les story-boards de mes idées dans le but d’en faire des films plus tard. Ces story-boards sont devenus plus détaillés avec des couleurs et des paroles. Plus tard, à la fac, j’avais le choix de suivre une formation de cinéma. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait trop de politique dans le monde du cinéma pour enfin arriver à raconter les histoires que je voulais. Entre les finances et expliquer ma vision aux collaborateurs, l’idée me faisait peur. C’est à cette époque que j’ai commencé à lire plus de romans graphiques comme ReMind de Jason Brubaker. Je voyais qu’il y avait des types qui, au lieu d’essayer de convaincre les gens de collaborer avec eux, faisaient ça eux-mêmes ! En fait, un roman graphique, c’est comme un film dans les mains. Et avec la technologie, le talent et la persévérance, il suffit juste de travailler dur pour le produire. Mais comme j’ai toujours la sensibilité cinématique, je fais de mon mieux pour cadrer les panneaux comme dans un film.
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Est-ce que tu avais déjà ton scénario complet lorsque tu as commencé ton projet ou le fais-tu évoluer au fur et à mesure ?
Oui et non. J’ai commencé par faire une mythologie fantastique et globale d’Aya qui s’étend sur plusieurs milliers d’années. Ensuite, j’ai fait une carte comprenant les différents royaumes et cultures issus de cette mythologie. Après, j’ai décidé comment introduire ces cultures dans l’histoire de The Pack. A ce stade, j’ai plusieurs idées générales et spécifiques pour certaines sagas. Je réalise que c’est pendant la production d’une saga, que je commence à rédiger le prochain. Mon processus consiste à écrire le récit général de la saga et puis à le diviser en cinq parties. Avant la production de chaque tome, je prends la partie correspondante et j’en fais un script.
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Comment le fais-tu évoluer ?
Quand je crée une civilisation ou un royaume dans Aya, je sais exactement quels éléments fantastiques j’aimerais voir liés à cette culture. Cela me permet de former une histoire générale qui explore ces éléments. Des fois, j’ai une idée solide de ce que je veux faire pour une saga. Puis, des mois plus tard, une nouvelle idée me vient à l’esprit et ça change tout.
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Tu n’es pas seulement écrivain, tu es un artiste, comme on peut le voir sur ton site internet, comment combines-tu toutes tes passions ?
Quand j’avais décidé d’écrire ce roman, c’était dans le but unique de créer une histoire pour mes projets artistiques. The Pack est le projet qui combine toutes mes passions. J’aime raconter des histoires, j’aime créer des univers fantastiques et j’aime créer de belles choses, que ça soit grâce aux images ou à la sculpture. Souvent, quand je développe une scène dans le roman, je sculpte une maquette du décor. Cela me permet de mieux visualiser et planifier la scène. Je pense retourner à l’art plastique dans le futur mais, pour le moment, je me concentre sur The Pack.
L’inspiration, ça vient du monde qui nous entoure.
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Quelle place ont les cultures africaines pour toi ? Pourquoi avoir choisi l’Afrique plutôt que la Martinique ou les Caraïbes ?
Elles sont assez spéciales pour plusieurs raisons. En Occident, beaucoup de noirs s’identifient avec l’Afrique de la façon dont les blancs s’identifient avec l’Europe. C’est bien plus que le berceau de l’humanité, c’est le continent des ancêtres noirs. J’essaie de recueillir la civilisation pré-coloniale de l’Afrique afin d’enrichir l’identité noire dans le monde entier. C’est en comprenant nos racines qu’on peut changer notre façon de se voir – dont le monde nous voit. Quant à la Martinique, je suis très fier de mon héritage antillais et je planifie deux sagas inspirées des cultures de la diaspora noire (américain, caribéen, etc.). J’ai déjà écrit l’histoire. Le concept derrière ces sagas est le même que pour Aya : créer une mythologie basée sur la richesse culturelle de la région correspondante. Ils seront dans le même univers qu’Aya. Les récits seront indépendants de The Pack mais aussi fantastiques.
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Quels retours as-tu sur ton travail ?
Honnêtement, je n’ai pas eu une réaction négative vis-à-vis de The Pack. Toute personne qui le découvre aime ce qu’elle voit. C’est un miracle. Certains sont captivés par l’art, d’autres par le récit. La plupart apprécie les deux. Je suis vraiment béni d’avoir des retours pareils. Cependant, l’artiste sensible en moi attend toujours le premier commentaire négatif.
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Tu as commencé en anglais, comment se passent les traductions en français? Et penses-tu adapter ta série de romans graphiques dans d’autres langues ?
Comme toute chose avec ce roman : c’est moi qui fais tout – la traduction comprise. C’est assez dur et, j’avoue, la seule fonction que j’aimerais passer à quelqu’un d’autre. Quant aux autres langues, ça dépend entièrement de la demande et de l’emploi d’un(e) traducteur(trice).
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Quel message voudrais-tu adresser aux jeunes ?
Si tu es artiste, ne te stresse pas pour trouver “ton style” – ça vient naturellement. Cependant, ça ne viendra pas en se saturant les yeux de mangas, bd, télé et films 24h/24. L’inspiration, ça vient du monde qui nous entoure. Je ne dis pas que l’art des autres bloque l’inspiration mais il faut de la modération. Si on veut être original, il faut que cela vienne du plus profond de soi.
ça serait tellement bien si je pouvais ne faire que ça et en vivre
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Un conseil qui t’aurait servi dans ta jeunesse ?
Comme je l’ai dit : te stresse pas à chercher le projet qui sera “ton truc à toi”. Amuse-toi, explore tes capacités artistiques. Ça viendra tout seul et le jour où ça viendra, tu seras prêt.
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Question Be You : qu’est-ce que c’est pour toi être Be You ?
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Quelle est la chose la plus Be You que tu ais faite dans ta vie?
The Pack. Ça me complète. Après 4 ans de formation de graphiste, je suis entré dans la vie active. C’était horrible : les clients étaient incompétents et malpolis. A part certains projets pour mes amis, je ne trouvais pas de stimulation artistique. Je rentrais chez moi et quand je regardais mes notes ou mes dessins sur The Pack, je me disais “ça serait tellement bien si je pouvais ne faire que ça et en vivre”. Mais j’avais peur. Après un an dans le secteur graphique, j’en avais marre et je me suis lancé dans la sculpture en papier. D’ailleurs, vous pouvez les retrouver sur ma page Behance. J’ai voyagé à travers le monde et parlé avec plusieurs galeries en Europe et même à Dubaï. Finalement, ça n’a pas marché à cause des frais de transport et des taxes d’importation.
Je me rappelle, c’était en janvier. J’étais à Knokke, en Belgique, pour négocier une exposition pour mes œuvres. Apres une semaine de discussion avec plusieurs galeries qui étaient très intéressées, elles ont décidé que ce n’était pas faisable. J’étais dégoûté. Le lendemain, je ne pouvais même pas sortir du lit. Il me restait encore 3 jours avant de rentrer à New York, et je ne savais pas quoi faire de ma vie. Après un jour de déprime, je me suis levé, j’ai sorti mon iPad et j’ai commencé à écrire le script du Tome 1. C’était juste pour me faire plaisir. J’ai travaillé toute la nuit. À l’aube, j’avais un scripte complet. Bizarrement, je ne me suis jamais senti plus libéré qu’à ce moment-là. C’était comme si, enfin, j’accomplissais mon destin. En rentrant à New York, j’ai abandonné les sculptures et j’ai commencé la production du Tome 1. Deux mois plus tard, je l’ai publié et mon rêve s’est accompli. Bien sûr, il y a toujours des obstacles et des moments difficiles mais je fais ce que j’aime. C’est ça, être Be You.
Vous en savez désormais plus sur The Pack et son auteur, avez-vous envie de découvrir cet univers ? Nous oui ! Sans aucun doute. Dites nous tout en commentaire !
Crédits photos : Paul Louise-Julie